Pourquoi cultiver l’ennui chez l’enfant ?

 « J’m’ennnnuie ! », ces mots vous sont familiers ? Votre enfant dit qu’il s’ennuie et cela vous inquiète ? Votre ado tourne en rond dans sa chambre sans savoir quoi faire ? Pas d’inquiétude, l’ennui c’est bon pour la santé. Sarah Guesmi, psychologue clinicienne vous explique pourquoi. Vous retrouverez également des témoignages de parents et des informations pour en savoir plus sur le sujet.

Faut-il laisser son enfant s’ennuyer ?

Sarah Guesmi est psychologue clinicienne. Elle travaille notamment au service de la protection de l’enfance au Département de Loire-Atlantique.

 

Faut-il laisser son enfant s’ennuyer ?

Oui, absolument. C’est un moment d’élaboration, de construction de l’imaginaire. L’enfant va s’inventer des histoires. S’il n’y a pas d’ennui, il n’y a pas d’imaginaire. Les parents ont souvent tendance à vouloir combler ce vide par des activités, partant de l’idée qu’un enfant actif est un enfant qui va bien et qu’à l’inverse, un enfant qui ne fait rien est un enfant qui déprime ou qui n’est pas en bonne santé. C’est une idée reçue. On associe l’ennui à une contrariété alors que c’est fondamental et consécutif d’une bonne santé mentale.

Comment accompagner son enfant ?

Chez les nourrissons, cela commence par l’apprentissage de la solitude, au moment où, lorsque c’est possible dans la maison ou l’appartement, on installe l’enfant dans sa propre chambre ou en tout cas, plus dans celle des parents. Avec un jeune enfant, c’est apprendre à jouer ou à faire une activité tout seul. Le parent peut commencer l’activité avec lui, mais le laisser terminer seul. Quand l’enfant est un peu plus grand, on peut le laisser jouer seul dans sa chambre.

Et chez les adolescents ?

L’ennui peut faire peur aux ados. Ils se retrouvent confrontés au vide et peuvent parfois ressasser des peines liées à un chagrin d’amour ou à du harcèlement. Il faut essayer de repérer ce qu’il se passe, voir, par exemple, si c’est plutôt à la maison ou en cours que l’enfant s’ennuie et être dans l’accompagnement. Mais de façon générale, comme pour les enfants, l’ennui est très bénéfique pour les ados. C’est un espace de créativité et de découverte de soi et de ce qu’on aime.

Est-ce que c’est grave de s’ennuyer à l’école ?

Ophélie habite à Trignac, elle a un fils de 12 ans.

Lorsqu’il était en CM2, sa maîtresse nous a convoqués pour nous dire que Jules avait des problèmes d’attention. Elle nous a dit qu’il n’était pas toujours concentré, un peu dans son monde et qu’il avait du mal à suivre les cours. Nous avons été surpris, parce qu’il rentrait plutôt content de ses journées en classe, qu’il avait de bons résultats et qu’il nous racontait dans le détail tout ce qu’il avait fait. La maîtresse nous a dit qu’elle avait discuté avec Jules et qu’il lui avait dit qu’il s’ennuyait.

Il nous a expliqué qu’il aimait bien apprendre, mais que parfois, il pensait à autre chose

À la maison, nous en avons discuté avec lui pour savoir si c’était parce ce que ce qu’il apprenait ne l’intéressait pas ou si c’était autre chose. Il nous a expliqué qu’il aimait bien apprendre, mais que parfois, il pensait à autre chose, qu’il avait des idées pour sa BD - Jules adore dessiner et à la maison il a plusieurs cahiers où il élabore son projet de bande-dessinée - , qu’il pensait à ses grands parents qu’il allait voir bientôt ou qu’il pensait à ses jouets dans sa chambre. Depuis qu’il est tout petit, Jules a toujours eu beaucoup d’imagination. Il a joué tout seul et s’est inventé des histoires très tôt. Ça ne nous a jamais inquiétés, au contraire. Nous lui avons expliqué que ce n’était pas très grave qu’il "s’ennuie" de temps en temps à l’école, mais qu’il fallait qu’il essaye de rester concentré sur les cours et les activités. Nous en avons aussi parlé avec la maîtresse de Jules qui a eu un peu de mal à entendre que "s’ennuyer" pouvait avoir une connotation positive. Aujourd’hui Jules est en 5ème. Ses profs disent de lui qu’il est parfois un peu "dans la lune", mais dans l’ensemble ça se passe bien. Jules a entamé le troisième tome de sa BD.

Le mot de la psychologue

"Un enfant qui regarde par la fenêtre à l’école ou au lycée au lieu de suivre le cours, ça ne veut pas forcément dire que le cours de l’intéresse pas. Aujourd’hui on s’inquiète beaucoup des troubles de l’attention ou du comportement, mais parfois c’est juste que l’enfant ou l’ado se laisse aller à ses pensées", souligne Sarah Guesmi.

L’expérience d’une professeure des écoles

"Les enfants me sollicitent de plus en plus. Ils n’arrivent plus à rester sans rien faire ne serait-ce qu’une minute. Il m’arrive régulièrement de dire à un ou à une élève qui a fini un exercice avant les autres : "tu attends tranquillement que les autres terminent", mais ils ont du mal avec cette notion. On sent bien qu’ils ont l’habitude d’être occupés en permanence. Dans ma classe, j’ai installé un petit coin "imagination", avec des livres, des feuilles pour dessiner, etc. Et j’essaye, lorsque c’est possible, de les faire rester là un peu", raconte Julie, professeure des écoles dans le vignoble nantais.
 

 

 

Stéphane et Maribelle vivent à Nantes. Ils ont deux enfants de 14 et 16 ans.

C’est vers ses 15 ans que ça a commencé. Elyssia faisait de la danse depuis presque 10 ans et elle a voulu arrêter. Quand on lui a demandé pourquoi, elle nous a dit que "ça ne l’intéressait plus". Nous lui avons dit que c’était dommage d’arrêter maintenant, mais nous ne l’avons pas forcée à continuer. Nous lui avons demandé si elle voulait faire autre chose et elle nous a répondu que non.

Elle nous répondait systématiquement "parce que ça m’ennuie" ou "parce que ça me saoule"

Elle s’est mise à passer beaucoup de temps dans sa chambre, à être moins disponible pour sa sœur, à ne plus vouloir faire de choses avec nous. Et quand on lui demandait pourquoi, elle nous répondait systématiquement "parce que ça m’ennuie" ou "parce que ça me saoule". Au début nous avons mis ça sur le compte de l’adolescence, mais au bout d’un moment, nous avons eu peur que quelque chose n’aille pas. Nous avons essayé de discuter avec elle, mais le dialogue était difficile. Nous avons fini par consulter un psychologue ; nous avions peur qu’elle soit en train de faire une dépression. Le psy nous a rassuré : "votre fille va très bien, c’est normal à son âge de vouloir être tranquille et de ne plus avoir envie des mêmes choses."

L’avis de la psychologue :

"L’ennui peut être très bénéfique pour les ados. C’est un espace de créativité et de découverte de soi et de ce qu’on aime.", explique Sarah Guesmi.

Faut-il culpabiliser de s’ennuyer quand on est adulte ?

Quand on est parent, on n’a généralement pas le temps de s’ennuyer. Et pourtant, comme chez les enfants et les ados, l’ennui est bénéfique pour la santé des adultes. Prendre du temps pour soi, se recentrer sur ses envies et ses désirs. S’ennuyer quand on est parent, c’est aussi libérer de la charge mentale et limiter les risques de burn out et d’épuisement. Facile à dire, mais pas forcément facile à faire.

"C’est vraiment lié au fait d’être devenue mère. Avant, ça ne me dérangeait pas de ne rien faire. Aujourd’hui, c’est plus difficile, raconte Jeanne, une jeune maman. Si je ne fais rien, j’ai du mal à évacuer certaines tâches de ma tête, même si elles ne sont pas importantes ou si elles peuvent attendre, ou si je sais que mon conjoint va s’en occuper. J’ai aussi beaucoup de mal à ne pas penser à mon fils. Dès que j’ai un moment et qu’il n’est pas là, mon premier réflexe, c’est de penser à lui ou des choses dont il aurait besoin ou que je pourrais faire avec lui.

Quand on devient parent, on devient une autre personne et c’est vrai que de se poser un peu tranquille, ça permet de faire le point et de se retrouver

Quelques mois après la naissance de mon fils, j’ai consulté une psychologue parce que je me sentais vraiment mal. De me poser, de prendre du temps pour moi et de m’écouter font partie des choses qu’elle m’a conseillées. Quand on devient parent, on devient une autre personne et c’est vrai que de se poser un peu tranquille, ça permet de faire le point et de se retrouver. Ceci étant dit, il faut bien avouer qu’avec un bébé de 20 mois, le peu de temps libre qu’on peut avoir, on a envie de le consacrer à des activités comme aller au cinéma ou voir des amis et pas forcément à rester sans rien faire."

 L’avis de la psychologue :

"Nous sommes dans une société ou être actif est beaucoup plus valorisé que de ne pas l’être et ne rien faire peut être très culpabilisant. Cela peut aussi faire un peu peur de se confronter au vide. Pourtant, c’est fondamental de trouver du temps pour soi".

Pour aller plus loin

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