Être grand-parent au temps de la Covid

Les personnes âgées sont prioritaires pour les vaccins contre la Covid-19. Parmi celles et ceux qui étaient impatients, de nombreux grands-parents pour qui la vaccination est un précieux sésame pour côtoyer les petits enfants en toute sérénité. Dans ce dossier, des témoignages de grands-parents, mais aussi d’acteurs, d’actrices et de spécialistes de la grand-parentalité, qui reviennent sur cette période compliquée.

Témoignages : la peur de disparaître du "circuit" des petits enfants

En France en moyenne, c’est à 55 ans qu’on devient grand-parent. Mais face à une pandémie de Covid délétère pour les plus âgés, les recommandations sanitaires n’ont fait aucune nuance, reléguant tous les « papys et mamies » au rang de personnes fragiles et diminuées. Entre révolte, inquiétude ou philosophie, des grands-parents nous ont raconté comment, dans ce contexte particulier, elles et ils ont maintenu la relation si précieuse avec leurs petits-enfants. (La plupart de ces témoignages sont à retrouver dans le dossier du magazine du Département de Loire-Atlantique d’avril-mai 2021)

Marie-Geneviève et Pierre-Marie à La Turballe, 74 et 71 ans, 7 petits-enfants

" Ne pas disparaître de leur circuit "

« Passées les incertitudes et l’inquiétude au tout début de la pandémie pour nos enfants et petits-enfants, nous avons réfléchi à la façon de mettre en place des choses en visio pour ne pas disparaître de leur circuit. Les plus jeunes avaient moins de 5 ans et à cet âge-là, la discussion en vidéo les ennuie au bout de 3 minutes. J’ai donc proposé de faire des activités et ça marchait bien. Recettes de cuisine réalisées en simultané et adaptées, (nous avons mangé beaucoup de charlottes aux fraises), partie de petits-chevaux (avec triche), de bataille navale, on a réussi à maintenir les liens avec chacun et chacune. Lorsque nous nous sommes revus cet été, on a conservé les gestes barrière mais pas les masques avec les petites. Nous sommes vaccinés donc nous avons une certaine sérénité, mais les petits-enfants, qui avaient bien reçu le message des gestes barrière, n’osent plus s’approcher vraiment, comme si quelque chose c’était cassé… Mais ça va revenir ! »

Luc et Geneviève à Guérande, 71 et 64 ans, 5 petits enfants

" Ce qui manque vraiment ce sont les bisous, les câlins "

« Nous appliquons ce qui nous semble un respect raisonné des recommandations sanitaires, à commencer par les gestes barrière avec le lavage des mains, les masques et la distance. On n’a pas refusé de voir nos petits-enfants, même les plus âgés. Romain, 20 ans, est venu passer un week-end avec sa copine. On fait attention d’autant que Luc est personne à risque. Mais d’eux-mêmes, nos petits-enfants nous protègent : Paul, 17 ans n’est pas venu à une réunion familiale après avoir été cas contact, car même négatif, son test datait de moins de 7 jours. ». Plein de choses nous manquent mais on a des conditions privilégiées et on n’a pas coupé nos relations sociales, et surtout pas celles avec nos petits-enfants, qui sont fortes. Ce qui manque vraiment ce sont les bisous, les câlins. Si on avait cédé à la peur il y a plein de bons moments que nous n’aurions pas vécus. Et nous serions dans la déprime. »

Martine et Dominique à Jans, 66 ans

" L’idée de ne pas les revoir, de ne pas pouvoir les embrasser avant de partir est une vraie crainte "

« Le samedi juste avant 1er confinement, nous étions tous et toutes ensemble pour manger les crêpes de Dominique, adorées par toute la famille. On ne s’était pas embrassé déjà car on savait que les écoles fermaient le lundi. Ensuite, on a échangé par téléphone. J’appelais quand ça dérangeait le moins, avec l’école à la maison. Ma petite-fille Mélissa me racontait ce qu’elle faisait. On échangeait des sms. Au 2e confinement, on a plus ou moins arrêté de se voir. On s’est réuni à Noël, sans embrassade, rien du tout. Je n’ai pas pu résister à embrasser Axelle, ma petite dernière, dans le cou. Je ressens de l’inquiétude. Avec Dominique on se dit parfois « est-ce qu’on les reverra s’il nous arrive quelque chose ? » L’idée de ne pas les revoir, de ne pas pouvoir les embrasser avant de partir est une vraie crainte. »

 Nadine et Michel à Nantes, 74 et 78 ans, 4 petits enfants

"Grâce à la vaccination, on a pu l’embrasser à nouveau"

Au 1er confinement, on a fonctionné par téléphone et skype. Notre fils aîné nous envoyait des vidéos de notre petite fille Chanelle au piano pour nous demander notre avis. On a continué comme ça même au déconfinement mais on a gardé nos trois petites-filles une semaine l’été, dans notre maison de vacances. Ensuite, on a attendu les anniversaires et Noël pour se voir, avec masques, pas de bisous et distance d’un mètre le plus possible. Et comme les années précédentes à Noël, on a accompagné nos deux plus grandes pour un après-midi shopping. Le week-end dernier on a gardé la plus jeune, et grâce à la vaccination, on a pu l’embrasser à nouveau : ça a fait plaisir. »

Joëlle et Daniel au Croisic, 72 et 68 ans, un petit-enfant

" Nous avons fini par nous déplacer malgré l’interdiction "

" Notre premier petit-fils est né début avril pendant le 3e confinement. Au début, nous étions dans la frustration. C’est fou, on peut aller à un enterrement, mais pas célébrer une naissance. Nous avons fini par nous déplacer malgré l’interdiction. Nous avons rempli une attestation de déplacement pour motif impérieux et nous avons pris la route. Nous avons réalisé que nous nous mettions des barrières supplémentaires à celles déjà imposées par le gouvernement. Depuis le début de la crise sanitaire, nous respectons les gestes barrière, nous faisons très attention. Nous n’avons pas regretté notre "fraude", c’était un vrai bonheur de rencontrer notre petit-fils. "

Grands-parents : "Le lien s’est clairement intensifié avec le confinement"

Véronika Kushtanina, maître de conférence en sociologie à l’Université de Franche-Comté, auteure d’une thèse La grand-parentalité à l’épreuve du care. (Cette interview a initialement été publiée dans le dossier du magazine de Loire-Atlantique d’avril-mai 2021)

Vous avez étudié la grand-parentalité. Quelles en sont les principales évolutions ?
Il y a plusieurs axes. Le premier est démographique : selon une enquête ERFI de 2015, jusqu’à 35 ans, on a en moyenne au moins un grand-parent en vie. Le temps échangé, la cohabitation entre générations sont plus longs qu’avant. Deuxième aspect, une ‘’nouvelle’’ grand-parentalité, devenue une norme de référence : des grands-parents jeunes, dynamiques, très investis dans les loisirs des petits-enfants. Mais c’est loin d’être partagé par tous : les grands-parents tardifs ou les jeunes grands-parents des classes défavorisées se sentent à l’écart de cette norme. Le troisième axe est anthropologique : après-guerre, les parents ont pris un rôle de 1er plan auprès de leurs enfants, beaucoup confiés aux grands-parents par le passé. Aujourd’hui, on n’attend pas que les grands-parents prennent l’éducation ou la scolarisation en charge. Le clivage est net. Or en France, les mères travaillent beaucoup plus qu’ailleurs en Europe et les grands-parents sont très sollicités. Il faut donc trouver le dosage entre soutien et plaisir de se fréquenter.

Que signifie « la grand-parentalité à l’épreuve du care » ?
Ma propre définition du « care » est tout le temps que l’on consacre aux autres, auprès des enfants, d’un parent âgé, etc. La relation entre grands-parents et petits-enfants est en partie conditionnée par celle entre les deux générations d’adultes. Avoir pu passer du temps en face à face, sans les parents, va déterminer la relation qu’il y aura plus tard entre petits-enfants et grands-parents. J’ai pu constater que les relations proches entre des ado ou jeunes adultes et leurs grands-parents étaient liées à ces échanges en face à face dans la petite enfance. J’ai aussi constaté que ces relations étaient plus fréquentes entre grand-mère maternelle et petite-fille aînée.

Le contexte du covid a-t-il modifié des relations ?
Avec Virginie Vinel, collègue sociologue, nous traitons les données d’un questionnaire réalisé pendant le 1er confinement. Il est encore trop tôt pour en tirer une synthèse mais un chiffre est déjà frappant : 68 % des personnes ayant au moins un grand-parent en vie ont dit qu’elles prenaient soin d’eux. Le lien s’est clairement intensifié avec le confinement : lors de l’enquête ERFI, le chiffre était de l’ordre de 2 %. Certains se sont même substitués aux services d’aide aux personnes âgées, afin de réduire les risques de contamination. Ce sont les grands-parents qui ont été le plus aidés en dehors du foyer.

Les grands-parents, acteurs essentiels au sein des familles [chiffres]

Les chiffres démontrent que les grands-parents jouent un rôle important au sein familles.

Confinements difficiles pour les grands-parents de cœur de l’association Manou Partages

Manou Partages est une association qui facilite le lien social entre les générations. Parmi ses nombreuses actions, la mise en relation de personnes âgées et de familles avec enfants souhaitant créer des liens. « Dès le début du confinement, l’association a pris des nouvelles de tout le monde par téléphone, explique Sophie Charteau, coordinatrice de Manou Partages.

Un lien supplémentaire

Les personnes déjà en relation grands-parents/familles ont poursuivi et cela leur a fait un lien supplémentaire pendant les deux périodes de confinement. C’est le cas de Genevièvre, Mamie de cœur d’une fratrie de deux fillettes pour l’association. Elle avait jusqu’alors remplacé les activités des mercredis après-midi par des coups de téléphone hebdomadaires. « Comme je suis vaccinée depuis peu, j’ai dit à la maman qu’on pouvait se revoir. Les grands parents de cœur en devenir ont très mal vécu l’isolement. "Nous avons fait face à de la détresse psychique. On sent une prise de conscience de l’importance des liens", souligne Sophie Charteau.

 



Association Old’up : les vieux se rebiffent


« ‘’Les vieux debout’’ : c’est ce que nous voulons être » raconte Georges Hervouet, à l’initiative de l’antenne nantaise de l’association Old’Up, fondée par Marie-Françoise Fuchs en 2008 (déjà fondatrice de l’École des parents et des éducateurs en 1969 puis de l’école des grands-parents européens en 1994). Notre objectif est, sans nier notre âge, nos pertes et nos difficultés, de voir ce que l’on fait des possibilités que nous avons, qui sont autres, pour créer notre vieillesse. On ne parle que des 17 % qui ne vont pas bien, qui sont désorientés et diminués.

" Il faut changer le regard de la société sur les vieux mais aussi celui des vieux sur eux-mêmes "

Il faut changer le regard de la société sur les vieux mais aussi celui des vieux sur eux-mêmes : nous avons nous-mêmes intégré le regard protecteur de la société. Nos relations sont d’ailleurs plus faciles avec nos petits-enfants, qui ne sont pas aux aguets pour nous protéger et nous stimulent sur les nouvelles technologies. Nous sommes des citoyens libres, responsables et devons choisir notre fin de vie, même si elle doit concourir à diminuer notre temps de vie. Ne faites pas pour nous, faites avec nous. »

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